Lorsqu’il était arrivé au palais impérial de Les Valieres, Léo d’Hautecourt de Castelcerf, Vicomte de la Fère avait demandé des appartements séparés de ceux de son géniteur dont il ne pouvait que difficilement souffrir la présence. Les relations entre les deux hommes étaient des plus tendues depuis que Philippe de Castelcerf, Baron de Moncornet, avait abandonné son fils après le décès de sa mère, laissant la charge d’éduquer l’enfant à son ex beau-père. Qu’il prétende ensuite se servir de son fils et de sa prestigieuse ascendance maternelle pour assurer son avancement social faisait bouillir les sangs dudit fils. Mais les conventions sociales exigeaient qu’un fils obéisse à son père, et la demande était appuyée par l’Impératrice elle-même. Aussi Léo s’était-il rendu au palais un peu de mauvaise grâce, trouvant son réconfort dans le fait qu’il y retrouverait un ami d’enfance perdu de vue depuis plusieurs années. Si le Baron de Moncornet avait tenté de soumettre son fils à sa volonté, la rebuffade publique que son Léo lui avait opposé a étouffé toute velléité du Baron de manipuler le jeune homme à ses propres fins. Au vu de la rupture plus que consommée entre les deux Castelcerf, il fut donc décidé d’installer Léo dans de petits appartements d’invité situés dans une des dépendances du palais, subtile réprimande au jeune homme pour avoir osé bouleverser les conventions sociales. Le jeune Vicomte était lui très satisfait des deux pièces qu’il occupait, une antichambre lumineuse, et une chambre somme toute suffisamment spacieuse. Les fenêtres des deux pièces donnaient à voir non pas sur les jardins mais sur la forêt environnante, ce qui n’était pas pour déplaire au jeune homme.

    Léo s’éveilla donc ce matin-là de fort bonne humeur dans sa chambre du palais impérial de Les Valières. En effet il allait enfin retrouver, après cinq ans d’une douloureuse séparation, son meilleur ami : Camille de Batz d’Artagnan. Leurs lettres échangées quasi-hebdomadairement avaient à peine suffit à mettre du baume sur la blessure béante laissée dans le cœur du jeune Vicomte par cette séparation. Après ses habituelles ablutions matinales, Léo prit un léger repas, puis se vêtit en prévision d’une promenade dans les jardins. Une culotte bleue outremer se vit adjoindre une chemise blanche fermée par un jabot de soie. Une veste justaucorps blanche bordée de bleu et des bottes de monte couvrant les bas blancs du jeune homme complétaient la tenue. Une fois sa rapière ceinte à son baudrier de cuir, Léo sortit de ses appartements et prit la direction des jardins. D’un pas calme et assuré démentant totalement l’excitation qui montait en lui, le jeune homme parcourut les jardins en direction de l’isolé Bosquet dit d’Endymion abritant une magnifique statue du personnage mythologique susnommé. Au cours de son approche, le jeune homme s’assura par de discrets regards alentour qu’il était seul, puis entra dans le bosquet. Une bouffée de joie monta en lui à la vue de son meilleur ami. Agissant sur une impulsion, Léo avança sur Camille et le prit brièvement dans ses bras en une amicale étreinte pour le saluer.

« Camille ! Quelle joie de te revoir enfin ! Malgré nos échanges de lettres tu n’imagines même pas à quel point tu m’as manqué. Comment te portes-tu mon ami ? »

    Bien que peu tactile d’ordinaire, Léo avait eu ce besoin de prendre son ami dans ses bras afin de s’assurer qu’il était bien réel et pas une hallucination.